Pourquoi les "cicatrices à vif" s'estompent-elles au Rwanda, quand en Bosnie le pardon semble plus difficile ? Un livre et une exposition au Prix Bayeux des correspondants de guerre 2020, édition particulière Covid oblige, montrent combien la consolidation de la paix est plus complexe que la guerre.

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Insatisfait de l'usage qui était fait de son travail, le reporter Gary Knight a cessé il y a 13 ans de photographier la guerre aux quatre coins du monde, comme il le faisait depuis 20 ans, pour se consacrer à d'autres formes de journalisme.

Dernier projet né : "Imagine, penser la paix", un livre de 400 pages sorti mardi à 5 000 exemplaires en anglais et 2 000 en français, et une exposition de 150 photos et deux reportages vidéos, qui se tient jusqu'au 1er novembre à Bayeux.

"En France, en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis, nous avons beaucoup à apprendre du Rwanda ou de l'Irlande du Nord par exemple. Si des pays qui ont vécu des génocides ont pu progresser, alors nous pouvons nous aussi régler le problème des divisions dans nos sociétés, que nos dirigeants amplifient", martèle le Britannique de 56 ans.

Retour sur le terrain en climat de paix relative

Alors qu'il est plus facile de vendre des reportages sur la guerre que sur la paix, la "Fondation VII" de Gary Knight a demandé à des reporters de retourner sur les lieux, aujourd'hui en paix relative, de guerres fratricides qu'ils ont couvertes. Pour redonner la parole aux personnes marquées par les guerres et voir, plusieurs années après, à quoi ressemble leur vie désormais.

"J'avais l'impression que c'était la fin du monde. Mon bébé a été tué. Ils m'ont amputé la main et j'ai été blessée là. J'ai encore la cicatrice 20 ans après", raconte Alice, survivante d'un génocide qui l'a rendue muette pendant trois ans et a tué 800 000 Tustis en trois mois en 1994.

Pourtant "j'ai décidé de pardonner" à Emmanuel, son bourreau venu chez elle s'agenouiller et lui demander pardon, poursuit la Rwandaise. "Maintenant nous sommes amis (...) nous vivons en paix", ajoute cette mère de famille.  

J'ai pardonné parce que je voulais me sauver la vie (...) si je ne lui pardonnais pas je transmettais cette haine à mes enfants

Alice, survivante d'un génocide au Rwanda


"C'est facile de tuer. Ce qui est difficile, c'est de demander pardon à ceux qui ont survécu", commente de son côté Emmanuel dans la vidéo d'où émerge la splendeur des paysages rwandais.

Le photoreporter Jack Picone a vu un pays "où les cicatrices à vif s'estompent". Le témoignage d'Alice et d'Emmanuel contraste avec ceux recueillis en Bosnie-Herzégovine.

Amela, 25 ans lorsqu'a débuté en 1992 dans ce pays le plus grave conflit en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale, a expliqué au journaliste Anthony Loyd avoir éduqué ses enfants avec la volonté d'éviter le ressentiment, mais sa soeur Atija constate que "les efforts déployés pour nous diviser les uns les autres ont réussi à nous empêcher de nous parler à nouveau".

"Confessions"

Pourquoi un tel gouffre dans l'édification de la paix ?  Le président rwandais "Paul Kagame n'est certainement pas un innocent mais il s'est clairement investi dans la paix. Aujourd'hui au Rwanda il n'est plus question de Hutu ou de Tutsi sur votre carte d'identité", relève Gary Knight.

Le Rwanda est une dictature mais Kagame a mis en place des tribunaux "tenus par des gens ordinaires", où les victimes ont pu entendre les "confessions" de leurs bourreaux. Au Cambodge, le dictateur "Hun Sen ne voulait pas que les tribunaux fassent leur travail", poursuit Gary Knight. Et "l'ingérence" de pays occidentaux a aussi été un obstacle, ajoute Jon Swain, grand reporter britannique, qui a également contribué aux projets.

La "volonté politique" a aussi "totalement" fait défaut en Bosnie-Herzégovine avec "un gouvernement à plusieurs têtes totalement dysfonctionnel qui ne s'est pas du tout investi pour la paix", selon Gary Knight.

Autre facteur clé, la représentation des femmes en politique a également joué en faveur de la paix au Rwanda, estime le journaliste. 
 
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